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Writer's pictureCarelle et Yves Irakoze

Carnet d’un retour au pays natal

(Partie 1/2)


21 Décembre 2020, 17h15, aéroport international de Bujumbura. Au bord de l'aéronef de la compagnie aérienne Rwandair, elle s'apprête à fouler le sol de son pays natal pour la première fois depuis presque sept ans. Initialement prévu pour durer à peine deux mois, son séjour s'est finalement prolongé de plus de douze mois. Pourquoi? Remettons le sujet à une autre fois. Focus sur le retour.


Carelle : J’ai toujours pensé que ma vie ne serait pas faite à l’étranger. Parfois par conviction d’autres par la foi. Je me disais que j’irais faire mes études, de longues études, commencerais ma carrière et rentrerais au pays en femme indépendante. Une vie de famille, de femme mariée n’a jamais effleuré mes pensées.


Juin 2019, je finis donc mes études. Je cherche du travail dans mon domaine, rien. Finalement, je décroche un boulot bien loin des études environnementales que j’ai faites. Je m’y plais cependant.


Fin 2019, je pense à rentrer au pays. Je le veux vraiment, peut-être pour quelques mois. Revoir mes parents, la famille, mes amis, et puis mon meilleur ami Yves. J’anticipe nos retrouvailles.


Je prends donc le temps de chercher des stages professionnels au pays et dans la sous-région. J’envoie plusieurs candidatures. Sans succès. Mais il y a une de mes candidatures qui va jusqu’au bout, ou plutôt presque. Je passe toutes les entrevues et à la dernière minute, tout tombe à l’eau.


Je pleure, je me fâche contre cette organisation, cette femme qui a nourri mes espoirs, ce Dieu qui m’a laissé y croire et m’emballer. Et puis il y a Yves, on avait rêvé ensemble, on avait tout planifié. Nos rencontres, ses voyages réguliers pour me voir, mes jours de congé, nos programmes, etc.


Début 2020, je cherche à avoir mon passeport. Je me résigne à quelques semaines de voyage au pays. Cette fois-ci semble être la bonne. Je vais enfin pouvoir rencontrer mon Amour, peut-être pour son anniversaire qui est aussi devenu le nôtre.


Sur les réseaux sociaux, on commence déjà à parler d’un virus qui fait rage en Chine. Je n’y comprends pas grand-chose, je n’y prête pas trop attention et de toutes façons, je reçois finalement mon passeport. Rien que deux jours plus tard, on faisait du télétravail, des cas de Covid-19 étaient détectés, l’aéroport était fermé, panique totale. Encore une fois, cette fois ne sera pas la bonne pour rentrer au pays. Je n’y comprends toujours pas grand-chose.


Les stages professionnels vous vous en souvenez? Je retente ma chance en pleine pandémie. Cette fois-ci, c’est au pays. Je passe de longues entrevues et la question fatale finit par tomber : « Quand comptez-vous rentrer? ». Sauf que l’aéroport est toujours fermé. Je n’arrive pas à comprendre ce qui m’arrive. Comme si le monde entier était contre moi. Comme si ma terre natale ne voulait plus de moi. Ou comme si elle me punissait de l’avoir quittée pour si longtemps.


C’est fou ce que les problèmes nous isolent mentalement et nous font penser que tout ne tourne qu’autour de nous. Heureusement, que j’ai toujours eu mon mari, à l’époque mon copain, qui calmait mes angoisses. Me rappelant que tout irait pour le mieux. Que ce n’était qu’une question de temps et que Dieu est toujours Seigneur.


Yves : Je ne sais pas à quel moment de la vie j'ai décidé de vivre avec intensité les petits bonheurs du présent. En tout cas tel est mon état d'esprit au moment où notre histoire avec Carelle commence. Mon train de vie à l'époque et même après n'est peut-être pas étranger à cela.


Il est vrai que les trois dernières années avant son retour n'ont pas été de tout repos pour moi sur les plans académique, para académique et professionnel. Entre les sessions à la fac, les engagements associatifs, les stages à l'hôpital (les jours de garde mon téléphone affichait pas moins de 10 000 pas par jour), un nouveau travail en parallèle des études, je me retrouve souvent débordé et seul.


Une prière matinale sur le chemin de l'hôpital, (une rémission non attendue d’un patient), une marche en silence ou en chanson depuis l'hôpital jusqu'au campus puis depuis le campus jusqu'au restaurant le plus proche, un documentaire avant de dormir, une conversation avec un inconnu au moment du diner. Voilà qui étaient devenus de véritables bouffées d'oxygène pour une vie où il fallait tout le temps faire le grand écart, où il fallait agir par ordre de priorité et parer au plus pressé.


Et puis, il y avait les appels téléphoniques avec Carelle très tard dans la soirée ou très tôt le matin. Et chaque fois, il y avait autant de sujets de conversations que les quelques 11.770 kilomètres qui nous séparaient. Spiritualité, soucis du quotidien, politique, nos vieux démons, tout y passait. Chaque jour qui passait faisait entrer notre relation dans la catégorie "amis intimes".


Pour moi, il était primordial de profiter au maximum de ces moments modestes mais certains de communion au lieu de fantasmer sur des retrouvailles qui ne nous étaient pas promises, du moins pas dans l'immédiat. Le présent, malgré ses tumultes, est d'autant plus passionnant qu'il est réel et que l'on peut relativement peser sur son cours. Le futur, lui, est d'autant plus anxiogène qu'il reste insaisissable.


Bon gré mal gré, on s'est donc efforcé de garder nos pieds sur terre. On s'est promis l'amour...tant qu'il durera. Il n'était pas rare que l'un de nous, avant de formuler un vœu, commence sa phrase par: " Si jamais cette histoire ne dure pas...".


A au moins quatre reprises, une opportunité de retrouvailles va se présenter. A quatre reprises, elle va nous échapper. A chaque fois, l'espoir nous portera sur un petit nuage avant d'exploser en plein vol. A chaque fois, le retour à la réalité sera brutal.


Carelle : Quelques mois plus tard, je décide finalement de déménager de mon campus universitaire. Après 6 ans en solo, je savais déjà que cette vie n’était plus ce que je voulais, je désirais avoir des colocs. Par ailleurs, je viens d’une grande famille. Partager les repas, les moments de la vie, certaines expériences me manquaient beaucoup.


L’été 2020 restera dans mes annales. Je partage non seulement une jolie maison avec 2 amies mais on forme une petite famille. Nos ami.e.s viennent y passer du temps. On fête nos anniversaires ensemble. On partage nos expériences au salon. Choses qui n’existaient pas lorsque je vivais encore au campus. Merci les Cocos.


Septembre 2020, une lueur d’espoir, l’aéroport international Melchior Ndadaye rouvre. Je ne veux pas m’emballer, je n’ai presque plus le droit de m’emballer. Mes espoirs ont tellement été réduits à rien que je me détache. Je suis les nouvelles, je pense à rentrer très sobrement. Je parle de mes incertitudes à quelques amies. Elles prient et m’exhortent à garder la foi.


Pour des raisons qu’il faudra expliquer un autre jour, Yves et moi commençons à parler de cérémonies de mariage initialement prévues pour l’été 2021. On se décide, on le fera au mois de janvier 2021. Oui, on va préparer notre mariage en 2 mois.


Yves : 21 Décembre 2020, 17h15, aéroport international de Bujumbura. Ou plutôt à quelques kilomètres de là, dans mon quartier natal. C'est de là que j'attends son coup de fil. Notre premier appel sur le sol burundais. C'est de là également que je revisite les trois dernières années pendant lesquelles il a été souvent question de ce retour. Les débuts timides de cette relation, les tentatives de retour ratées, ce mariage prévu dans trois semaines mais qui n’a toujours pas confirmé les lieux pour l’état-civil ou encore la bénédiction nuptiale. Je pense à tout cela mais sans trop m’attarder dessus. En réalité, à ce moment, tout cela importe peu. Cette fois-ci semble être la bonne pour le retour de Carelle. Et c’est tout ce qui importe.


N'ijwi ryuzuye urukundo,


Carelle et Yves Irakoze

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